Mathématiques et discernement


Saint Ignace de Loyola, 2019


1. En la fête de Saint Ignace de Loyola, comment ne pas se pencher sur le thème du discernement en lien avec les mathématiques ? Les mathématiques sont-elles en mesure de nous aider à discerner ? Comment savoir s'il convient ou non d'étudier les mathématiques, de s'y remettre, de s'y replonger ? Quels bénéfices puis-je attendre d'une étude renouvelée des mathématiques ? A quoi bon étudier les mathématiques quand on est enfant, adolescent, adulte ? ...

2.  Apprendre les mathématiques comme apprendre à discerner suppose d'apprendre à écouter et, plus fondamentalement, d'apprendre à "prêter l'oreille de son coeur". Non pas écouter comme à regret, contraint et forcé mais écouter de tout son être et de toutes ses fibres. Je serai nul(le) en mathématiques si je ne m'engage pas totalement, corps, âme, esprit et coeur dans leur étude ! 

3. Dans un monde en pleine effervescence où se déploient d'innombrables talents aux quatre coins du monde, la nullité en mathématiques ou dans tout autre science, art, savoir ... n'est pas seulement absolue. Elle est de plus en plus relative. Au temps de Louis XIV, dit-on, les personnes capables de poser une division à la cour du Roi Soleil se comptaient sur les doigts d'une main ! Briller en mathématiques à cette époque-là ne demandait pas d'effort surhumain ! Qu'en est-il de nos jours ?

4. Au temps de Louis XIV, pour accéder aux mathématiques, il fallait cependant maîtriser le latin ! Etre capable également de jongler avec des notations fluctuantes et d'une praticité douteuse ... Soit deux écueils heureusement éliminés à l'heure actuelle. S'en réjouir donne des ailes : nous disposons aujourd'hui d'une littérature mathématique extrêmement abondante en français et de notations qui simplifient grandement l'écriture d'un travail difficile au premier abord puisqu'il ne traite que d'objets conceptuels et donc immatériels, invisibles, intangibles de sorte que toute personne étudiant les mathématiques ne sait plus, au bout d'un certain temps, si les objets matériels sont de pâles reflets d'entités idéales voire idéelles ou si les objets mathématiques sont des créatures de l'imagination humaine sans trop de rapport avec le monde concret !

5. Pour les mathématiciens d'autrefois, la question du rapport des mathématiques au réel ne se posait pas de façon aussi lancinante que pour nos jeunes écoliers, collégiens, lycéens, étudiants : ils avaient des problèmes de survie ou de développement scientifique à résoudre qui incitaient quasi naturellement leur pensée à recourir à des outils conceptuels assez puissants pour faire avancer leur recherche. Quand nul problème concret ne les sollicitait, ils pouvaient encore se livrer à des travaux purement mathématiques pour le plaisir d'explorer un monde fascinant d'idées, de relations, de découvertes.

6. Etudier les mathématiques pour elles-mêmes ou en vue d'une utilisation dans d'autres domaines ? Voilà une question mal tranchée par les programmes scolaires. Dans les années 70, avec les mathématiques modernes, on pencha nettement pour des mathématiques repliées sur elles-mêmes, en quête de cohérence, aux prises à des questions internes. Maintenant, les mathématiques scolaires se soucient moins de cohérence interne et ont emboîté le pas des sciences de l'ingénieur : un outil au service de la physique, de l'économie, de la finance... L'une et l'autre de ses approches a ses raisons d'être mais aucune d'elles n'épuise l'intérêt d'étudier les mathématiques.

7. Savoir pour quoi, en vue de quoi, j'étudie les mathématiques sans quoi il est fort probable que je vais me laisser décourager par l'aridité des passages les plus délicats. Le dire tout net, au risque de surprendre : étudier les mathématiques ... sûrement pas pour résoudre des problèmes ! Si les mathématiques constituent un outil puissant de résolution de certains problèmes, elles sont loin de suffire à la plupart des résolutions, n'en déplaise à ceux qui les auréolent de vertus qu'elles n'ont pas. Nombre de situations se présentent en effet de telle sorte que l'on se trouve bien en peine d'en extraire des données sur lesquelles les mathématiques ont quelque prise et les données sur lesquelles on prétend s'appuyer ne sont qu'une image déformée, incomplète, trompeuse ... d'une situation infiniment plus complexe que ne le donne à penser une poignée ou même une kyrielle de données numériques.

8. Le premier pas d'un discernement juste à l'égard des mathématiques consiste donc à ne pas en faire le sésame indispensable pour accéder à une multitude d'enseignements du supérieur et dans toutes les branches faisant appel aux outils mathématiques, il serait vraiment judicieux de laisser le soin à ceux qui en font usage d'exposer eux-mêmes les savoirs mathématiques sur lesquels ils fondent leur progrès, leurs méthodes et leurs théories. Un exemple remarquable en est donné par Walter Appel dans son ouvrage de référence : Mathématiques pour la physique ... et les physiciens. L'étude des mathématiques y gagnerait en saveur et leur usage se limiterait aux situations dans lesquelles elles sont indispensables tandis que beaucoup d'explications rendues obscures par un usage abusif des mathématiques retrouveraient une clarté et une justesse qu'elles n'auraient jamais dû perdre. La médecine, par exemple, échapperait à une tyrannie du nombre qui l'a rendue, en bien des cas, farfelue sinon complètement délirante.

9. Ce qui vient d'être dit n'équivaut pas à un discrédit sans discernement de la puissance des appareils mathématiques, notamment statistiques, branche des mathématiques souvent considérée de haut par les tenants d'une esthétique qui ne lui accorde qu'à regret et à contre coeur de figurer au Panthéon des sciences exactes ! Le mépris affiché dont est l'objet la statistique tombe pourtant devant cette évidence : en comptant de manière juste, en agrégeant les données de façon intelligente, je parviens à extraire des informations très pertinentes même si, chemin faisant, je consens à perdre toute l'étendue d'un détail qui, de toute façon, demeure inintelligible en son état brut.

10. Pour se convaincre de la puissance des mathématiques et de la statistique en l'occurrence, il suffit de voir comment les affirmations erronées au sujet du Coran ne résistent guère à l'analyse statistique et, sur un tout autre registre, comment les mensonges véhiculés à propos de l'espérance de vie en France (et ailleurs) s'écroulent dès lors que sont pris en compte avortements et fausses couches. Il n'est que de voir aussi comment d'innombrables développeurs et marchands de la Toile ont bien compris l'intérêt des statistiques pour orienter leur travaux et leurs affaires.

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